Épisode 5 : Réindustrialisation : la France peut-elle encore redevenir une terre d’usines ?

Simplifier pour ne plus tuer les projets dans l’œuf
Investir en France relève trop souvent du parcours du combattant. Les délais d’instruction s’étirent sur des années, les recours s’empilent et la bureaucratie décourage les plus motivés. À chaque nouvelle annonce d’un projet d’usine, c’est le même scénario : une multitude d’administrations se renvoient la balle, les dossiers s’enlisent et les investisseurs finissent par jeter l’éponge.
Pour débloquer la situation, il est impératif de diviser par deux le temps nécessaire à l’obtention des autorisations. La solution ? Supprimer les étapes redondantes, renforcer les effectifs chargés de l’instruction des dossiers et limiter les recours abusifs qui paralysent des projets pourtant validés. Lancer une usine en France ne devrait pas être plus complexe qu’ailleurs en Europe. Un guichet unique par territoire, capable d’accompagner les industriels de A à Z, permettrait de fluidifier le processus et d’éviter qu’une entreprise se perde dans un dédale administratif. Parallèlement, le développement de « sites industriels clés en main », où toutes les autorisations seraient déjà obtenues en amont, permettrait de gagner un temps précieux.
Redonner du pouvoir aux territoires
L’industrie est une affaire locale, les régions, qui connaissent mieux que quiconque leurs atouts et leurs besoins, doivent pouvoir piloter une partie des politiques industrielles.
Il faudrait autoriser des expérimentations locales en matière de fiscalité ou de simplification administrative. Pourquoi une région ne pourrait-elle pas tester des incitations spécifiques pour attirer une usine pilote ou un centre de R&D ? Si l’expérience fonctionne, elle pourrait être étendue à d’autres territoires. Enfin, associer élus et industriels dans des comités régionaux de l’industrie garantirait une stratégie cohérente entre acteurs publics et privés.
Rendre la relocalisation économiquement viable
Le discours sur la souveraineté industrielle ne suffit pas : pour faire revenir les usines, il faut créer un environnement favorable. Aujourd’hui, produire en France coûte cher et les entreprises ne franchiront le pas que si elles y trouvent un intérêt concret.
Un crédit d’impôt « relocalisation » permettrait d’accorder un avantage fiscal substantiel aux entreprises qui rapatrient en France une production auparavant délocalisée. À cela pourrait s’ajouter un système de subventions à l’implantation, particulièrement dans les zones sinistrées, afin d’amortir les coûts d’installation. L’État et les collectivités locales ont aussi un levier puissant entre leurs mains : la commande publique. Sans violer les règles européennes, il est possible d’orienter les marchés vers des fournisseurs français, notamment en intégrant dans les appels d’offres des critères valorisant la production locale.
Un autre enjeu clé réside dans la réhabilitation des friches industrielles. Plutôt que de laisser ces espaces à l’abandon, il faudrait accélérer leur dépollution et les équiper en infrastructures pour qu’ils puissent immédiatement accueillir de nouvelles usines. En parallèle, la France doit concentrer ses efforts sur des filières stratégiques où elle a une chance réelle de reconstruire son autonomie. Il ne s’agit pas de tout relocaliser, mais de cibler des secteurs clés comme la pharmacie, l’électronique, l’énergie verte ou l’agroalimentaire.
Miser sur l’innovation pour construire l’industrie du futur
L’industrie française ne pourra renaître que si elle se projette dans l’avenir. Ce n’est pas en copiant les modèles du passé qu’elle redeviendra compétitive, mais en s’appuyant sur les technologies de pointe.
Un plan massif de modernisation des PME industrielles est indispensable. Beaucoup d’usines françaises restent sous-équipées en robots et en outils numériques, alors que leurs concurrentes allemandes ou chinoises investissent massivement dans l’automatisation. L’État doit amplifier les dispositifs d’aide à l’achat d’équipements innovants, comme les machines à commande numérique ou les logiciels de pilotage intelligent.
L’innovation passe aussi par la recherche. Un renforcement du crédit d’impôt recherche, ciblé sur les projets industriels, permettrait d’accélérer le développement de nouvelles technologies et de s’assurer qu’elles seront produites en France. Mais encore faut-il disposer d’une main-d’œuvre qualifiée. Adapter les formations aux métiers de l’industrie 4.0 est une nécessité : maintenance robotique, IA industrielle, cybersécurité… Ces compétences doivent être intégrées aux cursus techniques et valorisées auprès des jeunes.
Enfin, il serait judicieux de créer des pôles technologiques régionaux, où les entreprises pourraient tester et adopter de nouvelles technologies. Ces centres d’expertise joueraient un rôle clé pour diffuser l’innovation, en particulier auprès des PME qui n’ont pas toujours les moyens d’investir seules.
Financer la réindustrialisation sur le long terme
Sans financements adaptés, la réindustrialisation restera un mirage. L’industrie ne se développe pas avec des aides ponctuelles, mais avec des investissements patients et une vision à long terme.
Une partie de l’épargne française, qui dort aujourd’hui dans des placements peu productifs, pourrait être redirigée vers l’industrie. Des incitations fiscales bien ciblées pourraient encourager les fonds d’investissement et les assureurs à financer les entreprises industrielles françaises. Par ailleurs, renforcer les fonds propres des PME et ETI industrielles leur donnerait les moyens de grandir sans être dépendantes des banques.
Bpifrance a déjà joué un rôle clé dans le soutien à l’industrie, mais son action pourrait être renforcée. Plus de prêts à taux bas, plus de garanties d’emprunt, plus d’investissements en fonds propres : tout ce qui peut permettre aux industriels de financer leurs projets sans craindre une rentabilité immédiate doit être mis sur la table. Enfin, la stabilité du cadre fiscal et réglementaire est un élément essentiel. Trop de changements brutaux découragent les investisseurs. Ils ont besoin de visibilité pour s’engager sur plusieurs années.
Réindustrialisation : plus d’actions, moins d’effets d’annonce
L’industrie française ne renaîtra pas par magie. Elle a besoin de décisions claires, d’un environnement compétitif et d’une politique industrielle qui ne change pas à chaque alternance politique. La volonté affichée par l’État ces dernières années va dans le bon sens, mais elle reste trop timide. Si la France veut redevenir une puissance industrielle, elle doit agir vite et frapper fort. L’heure n’est plus aux discours, mais aux résultats.
Publié le 15 mai