DÉCRYPTAGE D'ÉTÉ

Financer la transformation industrielle

Le rapport Draghi estime entre 750 et 800 milliards d’euros par an les besoins d’investissement supplémentaires pour que l’Europe puisse mener à bien ses transitions industrielles, numériques, énergétiques et technologiques. Ce montant – près de 5 % du PIB de l’Union – dépasse, en proportion, les volumes mobilisés à l’époque du Plan Marshall. Il impose de repenser en profondeur les équilibres macroéconomiques du continent et de revoir nos mécanismes de financement.

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Cet effort colossal couvre aussi bien les infrastructures que les filières productives, la formation, la R&D de rupture ou encore la défense. Il suppose non seulement une réallocation massive du capital, mais aussi une réorganisation radicale de la manière dont les projets stratégiques sont identifiés, financés et gouvernés.

L’Europe ne manque pas de capital. Ce qui lui fait défaut, c’est une intermédiation efficace. Malgré un taux d’épargne élevé, les flux financiers se dirigent encore massivement vers des placements peu risqués ou vers des économies extérieures, notamment américaines. Cette situation résulte d’un marché des capitaux fragmenté, de freins réglementaires nationaux persistants et de l’absence d’instruments financiers adaptés à l’échelle européenne.

Draghi plaide pour une accélération de l’Union des marchés de capitaux, indispensable pour canaliser l’épargne vers les investissements productifs (ibid., chap. 7.3). Il recommande de créer des outils de financement durables, capables de soutenir des projets coûteux dont les retombées ne seront visibles qu’après plusieurs années.

Si le secteur privé porte la majorité de l’effort, il ne pourra agir efficacement sans signal clair ni accompagnement public. Le rapport préconise de réserver une part du budget européen à des projets stratégiques communs et d’envisager l’émission de dette commune pour mutualiser les risques et financer des biens publics européens : interconnexions énergétiques, cloud souverain, capacités militaires, infrastructures numériques ou formation industrielle (ibid., chap. 7.4).

Il défend également une règle budgétaire rénovée, distinguant dépenses de fonctionnement et dépenses d’investissement. Cette réforme permettrait d’éviter que les contraintes comptables nationales ne neutralisent les politiques industrielles de long terme.

Mais investir sans productivité n’aurait pas de sens. La soutenabilité de l’effort dépendra de la capacité de l’économie européenne à générer de la valeur ajoutée. Il faudra concentrer les ressources sur des projets à fort effet de levier économique, social et environnemental, et aligner les objectifs politiques avec les dispositifs opérationnels (ibid., chap. 7.6).

Sur le terrain, cela signifie accompagner toute la chaîne de valeur : de l’idéation à la mise sur le marché, en passant par l’industrialisation, l’adoption par les utilisateurs et la formation des compétences correspondantes. Les investissements les plus pertinents seront ceux inscrits dans des logiques d’écosystèmes capables de relier infrastructures, technologies, usages et territoires.

Dans plusieurs écosystèmes industriels européens, cette articulation entre compétences, financements et usages concrets a déjà fait ses preuves. Des lieux comme KMØ en sont l’illustration : espaces où industriels, innovateurs et formateurs expérimentent ensemble, accélérant ainsi la réussite des projets et maximisant leur impact pour répondre aux besoins de demain.

L’Europe a les moyens d’assumer cette ambition. Reste à accepter sa logique : mutualiser les risques, intégrer les marchés, partager la souveraineté budgétaire et piloter stratégiquement, au service d’une industrie européenne forte et durable.

 

Publié le 22 août