DÉCRYPTAGE D'ÉTÉ

Réinventer la gouvernance européenne

L’ambition industrielle esquissée dans le rapport Draghi repose sur un paradoxe : elle exige une action rapide, coordonnée, massive — au sein d’un système institutionnel européen conçu pour la prudence, la complexité et le consensus à 27. Draghi insiste : l’Europe ne pourra conduire sa stratégie de compétitivité sans refonder sa capacité à décider, à investir et à piloter dans des délais compatibles avec les réalités du XXIe siècle.

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Nombre de projets structurants — qu’il s’agisse d’interconnexions énergétiques, de mutualisation de la défense ou de cloud souverain — se heurtent à l’unanimité requise entre États membres (ibid., chap. 8.1). Draghi propose d’assumer une logique différenciée : avancer par cercles d’États volontaires sur des priorités communes, dans un cadre institutionnel clair, ouvert à ceux qui souhaiteraient le rejoindre ultérieurement. Cette gouvernance à géométrie variable, déjà expérimentée dans d’autres domaines, permettrait d’aligner ambition et exécution.

Autre levier structurant : la création d’une autorité européenne dédiée à l’investissement stratégique, agissant comme interface entre priorités industrielles, financement mutualisé et projets transnationaux (ibid., chap. 8.2). Cette institution jouerait un rôle de catalyseur : cartographier les vulnérabilités, orienter les financements européens, garantir la cohérence des dispositifs et suivre l’avancement des chantiers clés (énergie, numérique, défense, formation).

La gouvernance ne peut pas être uniquement verticale. Draghi plaide pour une intégration plus fluide entre niveaux d’action. Si les orientations doivent être définies au niveau communautaire, leur concrétisation dépendra de la capacité des États membres à s’appuyer sur leurs écosystèmes locaux, notamment dans les territoires industriels.

Mais au-delà des mécanismes techniques, la transformation esquissée repose sur un socle politique : une volonté collective de puissance économique, assumée et construite dans la durée. Cela suppose de sortir d’une logique défensive ou fragmentée pour adopter une posture stratégique : sécurisation des chaînes de valeur, priorisation des technologies clés, investissements massifs dans les infrastructures et le capital humain.

Cela implique aussi un pilotage resserré des transitions : gouvernance unifiée des objectifs climatiques, industriels et numériques ; convergence réglementaire dans les domaines critiques ; création d’indicateurs européens de performance industrielle intégrant durabilité, souveraineté et résilience.

Le rapport Draghi ne se contente pas de livrer des orientations économiques : il dessine les contours d’un nouvel exécutif stratégique européen. Et sur ce point, nous partageons une conviction : dans un monde où la vitesse d’exécution devient un facteur de compétitivité, la capacité à décider ensemble et à agir vite sera l’un des nouveaux attributs de la puissance.

C’est aussi une question de vision partagée. Les écosystèmes territoriaux, comme celui que nous développons à KMØ, montrent qu’il est possible de fédérer des acteurs aux profils variés autour d’objectifs communs, de rendre lisible une stratégie et de passer rapidement de l’idée à l’action. Ce que nous expérimentons localement préfigure, à une autre échelle, ce que l’Europe doit réussir si elle veut transformer l’essai.

 

Publié le 25 août