KMØ, des humains et un lieu
Mais quel intérêt d’investir dans un lieu ?

À l’heure de l’internet omniprésent et de la normalisation du télétravail, créer physiquement un espace de rencontre quand on traite de l’« innovation » et de la « transformation digitale » peut sembler surprenant. Des communautés virtuelles[1] se créent et existent dans de nombreux domaines, comme peuvent l’être des communautés d’utilisateurs, des communautés de fans, des communautés d’intérêts divers. Les personnes ont la capacité d’échanger à distance connaissances et outils pour faire aboutir un projet ensemble. La puissance et l’impact de ces communautés sont réels. Ces rassemblements virtuels peuvent mener à des actions concrètes, influencer les acteurs économiques et politiques, conduire à une transformation sociale ou créer spontanément du contenu et du savoir. En 2020, 1,8 milliard de personnes utilisaient Facebook chaque mois. Plus de la moitié des personnes utilisant Facebook sont membres d’au moins cinq groupes actifs[2]. Meta, puissante maison mère de Facebook, entretien même le projet de développer un monde tout virtuel, le métaverse[3], où chacun serait un avatar vivant parmi les autres, sans nécessité d’une présence en chair et en os.
L’arrivée d’outils basés sur l’intelligence artificielle semble un peu plus ancrer notre époque dans la réalité entrevue par la science-fiction. La machine nous donne l’impression de savoir faire les mêmes choses que nous, souvent plus rapidement, parfois même mieux que nous.
Comme le singe imite l’homme, l’IA est un outil utilisé par une machine pour reproduire des comportements humains. On distingue l’IA « faible », conçue pour exécuter une tâche spécifique dans un domaine particulier, basée sur des règles et des algorithmes préprogrammés, de l’IA « forte », conçue pour être aussi intelligente que l’être humain et capable d’apprendre, de raisonner et de comprendre le monde de manière similaire à l’être humain[4]. Bien que les outils d’IA générative tels que ChatGPT, Mistral ou DeepSeek soient bluffants de vitesse et souvent d’efficacité, ils entrent dans la catégorie des IA faibles. Ils s’exécutent selon des algorithmes préprogrammés et en fonction des données avec lesquelles ils sont « nourris ». Ils ne sont pas capables de réflexion et ne donnent que l’illusion d’entrer en communication avec l’utilisateur.
De nombreux créatifs ont déjà proposé leur idée d’un futur où l’intelligence artificielle atteindrait le niveau de l’intelligence humaine. Un exemple qui m’a beaucoup marqué est celui du jeu vidéo franco-américain Detroit Become Human[5], développé par Quantic Dream et édité par Sony Interactive Entertainment. Saisissant en terme de construction et de projection dans le futur, le jeu est paru il y a bientôt 7 ans, en mai 2018. L’histoire offre une immersion dans un futur où l’IA a été robotisée et partage le quotidien des humains qu’elle remplace dans de nombreuses tâches. La société se trouve transformée, entre progrès technologiques et sociaux mais aussi bouleversements pour le monde du travail et les relations humaines. On comprend assez vite que la machine évolue et qu’elle semble développer une pensée propre et des émotions. Vous avez alors le choix de participer à l’acceptation de cette nouvelle forme d’intelligence comme une espèce à part entière, ou vous pouvez choisir au contraire d’entraver son évolution et de rejeter l’émancipation des androïdes. De ce fait, le jeu nous interroge sur notre capacité à accueillir l’existence d’une nouvelle espèce à égalité avec la nôtre, en posant également la question de notre relation avec ces espèces.
Si le scénario n’est pas encore d’actualité, force est de constater que les IA génératives parviennent à simuler une interaction humaine convaincante. Même si elle n’est pas encore au point de revendiquer le statut d’espèce nouvelle, l’IA confirme chaque jour sa position d’assistant dévoué et son utilisation se démocratise à bien des niveaux, que ce soit dans le monde professionnel, personnel ou scolaire[6].
Alors pourquoi, malgré toutes ces sirènes technologiques qui nous appellent vers toujours plus de virtuel, faire le pari de créer un lieu, un endroit dédié à la rencontre entre humains, avec la conviction que cela joue un rôle fondamental dans le processus d’innovation ?
L’économiste américain Jeremy Rifkin qualifie notre époque de « civilisation de l’empathie »[7]. Dans cette société, à la fois complexe et changeante, qui prône le respect du caractère individuel de chacun, la qualité du lien à l’autre devient une source de coopération, et donc de performance[8].
J’en veux pour exemple mes échanges avec des étudiants en études supérieures d’informatique à EPITECH, qui ont effectué des stages d’environ 6 mois dans différentes entreprises. Etudiants dans le numérique, passionnés par leur domaine, ils sont particulièrement habitués à échanger par écrans interposés. Tous ont eu une expérience différente dans leur stage, certains ont découvert de petites entreprises, d’autres ont pu intégrer de très grands groupes. Certains ont traité plein de petites demandes quand d’autres ont travaillé sur un grand projet au long cours. Pourtant, à la question de savoir ce qu’ils avaient préféré lors de leur stage, la réponse est quasi unanime : la relation humaine. Pour les autres, c’est le manque ou l’absence de cette relation humaine qui est ressorti, cette fois comme le point négatif de leur expérience. C’est donc bien l’aspect humain, le contact avec l’autre, en vrai, en présentiel, qui ressort comme étant la pierre angulaire de leurs stages, tous domaines confondus.
Le fait de créer un lieu où les personnes se rencontrent permet de créer et de vivre les relations humaines. Par ailleurs, la présence à KMØ de structures aux profils et aux activités différentes permet une fertilisation croisée, les besoins des uns rencontrant les connaissances et les compétences des autres. Parmi les étudiants que j’ai entendus, certains ont trouvé à KMØ des ressources, d’autres des opportunités professionnelles. Certains y ont développé des activités ou alimenté des idées. Tous ont le sentiment d’appartenir à une communauté.
Plus précisément, KMØ est un espace collaboratif. Sous cette appellation on retrouve différentes catégories de lieux qui ont en commun de mutualiser des mètres carrés, des ressources et des services pour stimuler de nouvelles manières d’entreprendre et d’innover[9]. De cet espace et de cette volonté de partage des moyens et des connaissances est né un système en mouvement avec des acteurs évolutifs et des relations complémentaires dans une dynamique d’innovation : un écosystème d’innovation.
Et c’est bien le lieu, KMØ, qui donne à l’écosystème son noyau autour duquel peuvent graviter les éléments nécessaires à son fonctionnement et bien sûr à l’émergence de l’innovation. C’est bien le lieu, concret, palpable, qui constitue le terreau fertile dans lequel naissent et poussent les idées et les projets.
[1] https://creg.ac-versailles.fr/le-developpement-des-communautes-virtuelles-ou-reseaux-sociaux
[2] https://virtual-communities.thegovlab.org/files/DTR_report_fr_FR.pdf
[3] https://about.meta.com/fr/metaverse/
[4] https://www.codeandcortex.fr/analyse-fonctionnement-chatgpt-openai/
[5] https://www.quanticdream.com/fr/detroit-become-human
[6] https://www.actuia.com/actualite/barometre-2024-ifop-pour-talan-tendances-et-evolution-de-ladoption-des-ia-generatives-en-france/
[7] https://www.actes-sud.fr/une-nouvelle-conscience-pour-un-monde-en-crise
[8] https://www.hbrfrance.fr/innovation/ia-lintelligence-artificielle-devient-elle-plus-humaine-que-nous-60462
[9] https://shs.cairn.info/revue-entreprendre-et-innover-2016-4-page-5?lang=fr
Publié et mis à jour le 18 févr.